Margot Foubert, chargée de mission chez Sofélia
Chez Sofélia, vous avez lancé une initiative remarquable intitulée Je poste donc je suis. Celle-ci questionne et conseille les jeunes sur la perception du corps à travers les réseaux sociaux. La première question que j’aimerais vous poser est : notre perception de notre corps, ainsi que celle des autres, est-elle influencée par les réseaux sociaux et leurs algorithmes ?
Margot Foubert : Oui, tout à fait. Je dirais même que cette influence dépasse les réseaux sociaux et touche les médias en général, bien avant leur apparition, via les publicités, les magazines, etc. Toutefois, il est vrai que les réseaux sociaux amplifient cette tendance, en mettant en avant un certain type de corps. Par exemple, sur Instagram, les profils les plus influents affichent souvent des personnes minces, blanches, grandes, avec des cheveux longs, un ventre plat… C’est souvent ce genre de silhouette qui est valorisée par les algorithmes.
Ces fameux algorithmes, capricieux et invisibles, nous influencent sans que l’on s’en rende toujours compte. Plus on consomme un certain type de contenu, plus ils nous en proposent. Au bout d’un moment, on finit par croire que tout le monde est beau, mince, parfait…
Exactement. C’est un cercle vicieux. Les réseaux sociaux mettent en avant des contenus correspondant à des standards spécifiques. Ces contenus reçoivent beaucoup d’interactions, les algorithmes les jugent alors « efficaces » et les diffusent encore plus. Résultat : nous voyons toujours les mêmes représentations, les mêmes types de corps.
Quels conseils donneriez-vous pour échapper à ces stéréotypes, qui sont souvent source d’angoisse, surtout pour les jeunes en quête d’identité ?
La première étape est de prendre conscience de ce mécanisme. Il est essentiel de se rappeler que ce que l’on voit sur les réseaux est souvent mis en scène, filtré ou retouché, que ce soit avec des outils accessibles à tous, ou même grâce à l’intelligence artificielle. Se rendre compte que ces images ne reflètent pas toujours la réalité est crucial. Il peut être utile de tester soi-même ces outils pour comprendre ce qu’il est possible de faire avec un simple filtre ou un logiciel de retouche. On réalise alors que d’autres peuvent faire de même, voire plus.
Ensuite, il est également important de développer un esprit critique face aux contenus, qu’ils soient visuels ou écrits. On voit de plus en plus de photos créées ou modifiées par des intelligences artificielles. Cela va des petites retouches à des créations entières. Par exemple, ces derniers temps, je vois souvent des images soi-disant réalisées par des enfants, mais générées par IA.
Il y a aussi des influenceurs, comme Céleste, qui utilisent ces codes de la beauté pour montrer leur absurdité. Ils démontrent que ce que nous voyons chez les mannequins ou les stars est difficilement atteignable dans la vraie vie.
Oui, et c’est intéressant. Le mouvement Body Positivity, par exemple, essaie de contrer ces normes en montrant d’autres types de corps et en démystifiant les images idéalisées des réseaux sociaux. Cela aide les gens à comprendre qu’on peut s’aimer tel que l’on est, même si l’on ne correspond pas aux standards de beauté dominants.
En parlant d’influenceurs, ils jouent eux aussi un rôle crucial dans la diffusion de ces normes. Pensez-vous qu’ils ont une responsabilité envers leur public ?
Absolument. Dès lors qu’on influence une communauté, et surtout si elle est jeune, il est essentiel de montrer du contenu authentique. Mentir sur sa vie ou son apparence, c’est tromper son audience. Heureusement, certains créateurs de contenu montrent la réalité sans filtres ni artifices. C’est important, surtout pour les jeunes en construction identitaire, de voir la vérité derrière les images.
Parlez-nous de l’initiative Je poste donc je suis menée par votre fédération de centres de planning familial, Sofélia. En quoi consiste-t-elle ?
Nous avons créé plusieurs outils, dont une brochure qui explique le fonctionnement des algorithmes et leurs effets sur la perception du corps. Nous avons également conçu un jeu de cartes pour encourager les jeunes à réfléchir à leur usage des réseaux sociaux, à ce qu’ils y voient, ce qu’ils aiment, ce qu’ils postent, et à distinguer le vrai du faux.
Il est vrai que les algorithmes influencent fortement nos fils d’actualité, même sans suivre certains comptes. Ils sont conçus pour nous retenir plus longtemps sur les plateformes, que ce soit TikTok, YouTube ou Instagram. Parfois, ils décident pour nous du contenu que nous allons voir, sans que nous soyons abonnés aux comptes concernés.
Exactement. Les algorithmes nous enferment rapidement dans des « bulles de filtres », en nous montrant toujours le même type de contenu. Cela concerne autant les photos et vidéos que les articles. J’ai mené récemment une analyse sur les discours masculinistes et complotistes, et c’est incroyable à quelle vitesse les algorithmes peuvent enfermer des utilisateurs dans une seule manière de penser, les radicalisant peu à peu.
Cela mène parfois à une radicalisation. On commence par suivre un discours modéré, puis on dérive progressivement vers des propos de plus en plus extrêmes.
C’est exactement ça. J’ai vu une journaliste française créer un faux compte TikTok, et en seulement quinze minutes, après avoir liké quelques vidéos, elle s’est retrouvée face à des contenus très radicaux. C’est pourquoi il est important de prendre conscience de ces mécanismes.