Madeleine Cantaert, conseillère au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel
Quel est le rôle du CSA par rapport aux influenceurs ?
Madeleine Cantaert Nous sommes une autorité administrative indépendante en charge de la régulation audiovisuelle en Fédération Wallonie-Bruxelles. Cela passe par différents axes. Il y a un axe de contrôle, c’est pour ça qu’on nous appelle le gendarme de l’audiovisuel, mais on est aussi bien plus que ça. Nous sommes aussi une forme de soutien, et nous avons une volonté très claire d’encourager de nouvelles formes médiatiques. Les influenceurs, ou les créateurs de contenu – on aime ce terme créateur de contenu, puisque la notion de créativité contribue énormément à la diversité du paysage médiatique – viennent renforcer cette diversité et l’inclusion.
Nous sommes enthousiastes à les encourager et à clarifier le cadre régulatoire qui les concerne, notamment pour la communication commerciale. Les créateurs de contenu doivent respecter sept critères pour être considérés comme un service de médias audiovisuels. Notre interlocuteur, notre régulé en quelque sorte, c’est l’éditeur de services médias audiovisuels, donc dans ce cas-là, c’est le créateur de contenu en tant que tel, qui a une liberté éditoriale. C’est extrêmement important pour nous de sauvegarder ce principe, notamment en termes démocratiques.
Mais cette liberté éditoriale a aussi un autre versant qui est la responsabilité éditoriale. Cette responsabilité s’applique notamment dans l’obligation d’identification et donc de clarté sur le fait de proposer une forme de communication commerciale et de publicité. C’est extrêmement important pour nous, ainsi que pour d’autres instances comme le SPF Économie.
En quoi ça consiste ? D’abord, il faut savoir si, en tant que créateur de contenu, on fait de la publicité ou de la communication commerciale. Ce qui n’est pas si évident que ça. Nous considérons, et d’autres instances aussi, que la publicité ou la communication commerciale intervient lorsqu’il y a une forme de contrepartie, un accord entre un annonceur ou une agence et une contrepartie. Cette contrepartie doit être entendue dans un sens très large. Ce ne sont pas que des rétributions financières. Par exemple, si un annonceur vous invite à un voyage au Maroc pour suivre un défilé, mais que vous ne recevez pas d’argent en tant que tel, c’est considéré comme une contrepartie. On suppose que le discours que vous allez faire en tant que créateur de contenu sur cet annonceur et sur ce défilé va être influencé par les conditions qui auront été mises en place pour vous accueillir.
Comment faites-vous pour vous assurer que c’est respecté ? On parle de plus en plus et les agences recherchent non seulement des grands influenceurs, mais des micro-influenceurs et même maintenant des nano-influenceurs, donc des personnes qui ont des communautés de 10 000 followers, donc des petits influenceurs. Vous ne pouvez pas surveiller tout le monde en même temps ?
Non, c’est certain. On agit de plusieurs manières. On effectue des monitorings réguliers par les services du CSA. On a un listing qu’on espère et qu’on veut évidemment le plus complet possible. On sait très bien que ça évolue fortement et donc on est très attentifs à ça. On a un listing des créateurs de contenu sur les différentes plateformes, que ce soit YouTube, TikTok, Instagram principalement, et Twitch. On commence aussi à s’intéresser à Twitch parce que la communication commerciale est en forte augmentation sur cette plateforme-là aussi.
On veille à avoir un échantillon qu’on considère représentatif, en choisissant des influenceurs de plusieurs catégories, que ce soit les super grands, les médiums, les small, les extra small. On analyse pendant une certaine période donnée un certain nombre de vidéos par créateur de contenu sur les différentes plateformes, et on observe quel est le taux d’identification et comment cette identification est réalisée.
Les derniers résultats datent de 2022. Je ne vais peut-être pas entrer en détail précisément, mais en tout cas tout ça est retrouvable sur notre site csa.be. Les derniers résultats qui portent sur un échantillon de 2022 étaient assez encourageants, dans le sens où l’identification était passée du monitoring de 2020 à un taux de 71%, à un taux de 79%, toutes plateformes confondues et sur l’ensemble de l’échantillon. Donc ça, c’est vraiment très positif.
C’est laissé à leur choix la manière dont ils identifient le produit ? Donc ils peuvent le dire oralement, ils doivent écrire quelque chose, il faut un gros truc publicité ?
Très bonne question. Ce qu’on préconise, et d’ailleurs c’est la nécessité et c’est la règle, c’est que ce soit clair. Il faut combiner les mentions orales et les mentions écrites. Il y a une FAQ sur les influenceurs qu’on peut retrouver sur le site du CSA. Ce que l’on souhaite, c’est que les publics aient accès à l’identification sans devoir cliquer, sans devoir scroller, sans devoir chercher l’information. Donc il faut que ce soit assez clair et net directement.
Mais on parlait tout à l’heure de liberté éditoriale. Il nous semble absolument important de respecter les codes que les créateurs de contenu ont mis des années à créer, dans leur look and feel, dans leur code de couleur, de typo. On ne va pas jusqu’à dire absolument les mots qu’ils doivent utiliser, mais on veut que les mots soient au complet, que ce soit tant oral qu’écrit. Et lorsque, par exemple, certaines séquences seulement sont l’objet de communication commerciale, on va le dire à ce moment-là pour que ce soit bien clair et que le reste de la vidéo soit un libre propos qui ne soit pas touché par la communication commerciale. Mais de nouveau, c’est le même principe, c’est d’être le plus clair possible.
Si par exemple, un influenceur reçoit ce casque que je porte, il suffit de s’adresser à sa communauté et dire « Merci à Sony de m’avoir envoyé ce casque, je vais le tester pour vous et je trouve qu’il est vraiment bien » ? Ou bien, il faut dire « C’est un partenariat commercial », il faut que ce soit plus clair, il faut dire quoi exactement ?
Si en effet vous avez reçu un casque et que vous l’utilisez, c’est une forme de placement de produit. C’est une forme de communication commerciale, et il faut en effet le dire clairement. Une mention orale, c’est très bien. Si c’est un partenariat, si c’est un one-shot, on peut dire « pour une fois, je le teste, et c’est tout ». Si c’est un partenariat qui s’installe, alors oui, on éclaire là-dessus, et on l’indique tant oralement que de manière écrite pour combiner les approches, puisqu’on sait très bien que les vidéos sont consultées parfois avec le son, parfois sans le son, et donc c’est aussi une manière de combiner la manière dont le public va utiliser la vidéo.
On parlait des monitorings, et c’est quelque chose qu’on fait de manière régulière, mais il y a aussi d’autres manières qu’on a pour faire une sorte de veille. Ce sont aussi d’éventuelles plaintes qui pourraient arriver au secrétariat d’instruction, qui est donc un organe au sein du CSA qui traite des plaintes que l’on reçoit. Les réseaux sociaux, les plateformes, les créateurs de contenus font peu l’objet de plaintes pour l’instant, mais ça pourrait tout à fait arriver qu’une personne du public soit étonnée d’une certaine pratique d’un créateur de contenus en Fédération Wallonie-Bruxelles et nous en fasse part. Si c’est juste une question, on répondra à sa question. Si c’est formulé en termes de plainte, alors c’est le secrétariat d’instruction qui prend le relais, qui ouvre un dossier et qui vérifie différentes étapes.
Mais ce qu’on a comme approche au CSA et qu’on continue d’avoir, même si le temps évolue, c’est une approche progressive et une approche pédagogique. On considère que les créateurs de contenu sont des auto-entrepreneurs qui sont tout seuls la plupart du temps, qui doivent gérer absolument tous les aspects, que ce soit la création, le tournage, le montage, le fait de faire de l’auto-promotion de soi, de ses services, de ses vidéos. Vient se rajouter à ça un cadre régulatoire qui est là pour sortir d’une sorte de far west et pour clarifier les choses, mais qui en termes juridiques n’est pas toujours évident à appréhender. Donc notre première étape, c’est au moins de s’assurer que les règles soient connues et qu’elles soient comprises. Si après il y a une forme de mauvaise volonté et vraiment de récurrence et de soucis qui se posent, là bien sûr le ton changera. Mais on considère qu’on doit tenir compte de la particularité de ces régulés.
Vous n’avez pas affaire à des grands éditeurs de presse qui ont un département légal, etc.
Exactement. C’est vraiment ça, il y a une équité sur le respect des principes, bien sûr. Ce n’est pas parce que ce sont des équipes solo qu’ils peuvent piétiner nos principes de régulation, et on est là pour les faire appliquer. Mais la manière dont on va s’adresser à eux et le côté pédagogique dont on va faire preuve va en effet varier pour cette raison précise.
En France, il y a des influenceurs, des influenceuses qui font l’objet de sévères plaintes, voire d’amendes, et on trouve des cas très médiatisés, même dans la presse nationale. Ce n’est pas le cas en Belgique, j’ai l’impression.
C’est le cas plutôt via le côté SPF Économie qui se base sur un autre penchant du droit, sur le code économique, et donc va veiller à ce qu’il n’y ait pas de publicité trompeuse. Il y a aussi là cet aspect d’identification qui peut être lié à la publicité trompeuse puisque c’est non seulement l’objet publicitaire mais aussi le fait de ne pas communiquer sur le fait que c’est de la pub. Il me semble que ces cas-là sont plus médiatisés parce qu’eux ont une approche en effet plus binaire et vont plus directement vers des amendes, etc.
C’est une approche différente et on est, je pense, tout à fait complémentaires et c’est là-dessus qu’on doit aller, sur la complémentarité. Mais c’est vrai que la France a pris les choses un peu différemment, dans le sens où ça a été directement pris en charge par le ministère de l’Économie, avec cette loi influenceur qui avait plusieurs axes extrêmement importants et qui a secoué clairement le cocotier et qui a mis en avant des pratiques qui étaient absolument inacceptables.
Nous, à contre-pied, quelque part, on essaye de désamorcer des sortes de stéréotypes ultra négatifs, justement, qui sont nés de ces termes d’influvoleurs et on ne remet absolument pas en question que ça existe. Et il est évident que ça existe en Fédération Wallonie-Bruxelles aussi. Mais nous, on essaye aussi de mettre en valeur nos éditeurs, nos créateurs de contenu, et d’insister sur leur ténacité, leur richesse de créativité, leur opiniâtreté, leur professionnalisation, leur impact, leur influence, pas seulement en communication commerciale, mais aussi sur d’autres sujets sociétaux et sur le fait qu’ils viennent compléter une offre médiatique. Ce sont des passionnés qui se sont professionnalisés au fil des ans.
Et donc, de votre point de vue, est-ce que le public est-il suffisamment averti de l’aspect mercantile ou non ? Parce que vous, vous occupez évidemment des influenceurs belges, mais un consommateur belge peut consommer du contenu du monde entier.
Oui, alors je pense que la réponse doit être nuancée. Au niveau européen, il faut savoir qu’il y a la directive européenne, qui est quand même très claire par rapport à ça, et qui concerne du coup tous les États membres. Après, le principe, je ne vais pas faire d’énormes explications en droit, mais en fait, il y a la directive européenne qui est quelque part retranscrite en droit. même si notre cas belge est encore plus compliqué. Mais donc, ce sont des principes qu’il faut essayer de traduire dans notre loi à nous, pour le dire très simplement et de manière peut-être un peu trop vulgarisée. Et donc, il y a quand même une ligne de conduite qui est commune à tous les États membres qui font partie quelque part de la couverture de cette directive européenne.
Et puis, il y a un côté qui est aussi une responsabilité individuelle. qui est lié à chaque consommateur des médias, qui doit acquérir au fur et à mesure du temps et de ses pratiques une sorte de conscience des usages. Et donc là, l’éducation aux médias est évidemment un élément complémentaire qui ne vient pas pallier à une responsabilité éditoriale du créateur de contenu et des plateformes, parce qu’on n’en a pas parlé, mais les plateformes aussi ont l’obligation de mettre à disposition des fonctionnalités. aux créateurs de contenu pour pouvoir indiquer qu’il s’agit de communication commerciale pour les contenus destinés à un public jeune, etc. Donc c’est vraiment une co-responsabilité des plateformes et des créateurs de contenu et des consommateurs des médias.
Et donc là, la responsabilité va aussi aux parents, aux personnes qui entourent les gens qui regardent n’importe quel contenu audiovisuel, aux écoles, aux associations d’éducation aux médias. Et donc là, je pense qu’il y a quand même une évolution hyper positive. Et d’ailleurs, on le voit, on reçoit très peu de plaintes au niveau du CSA, sans doute parce que les choses se règlent aussi dans les box de commentaires. Et on peut voir ça très régulièrement, des questions qui sont posées aux créateurs de contenu en commentaire. Tiens, tu parles de tel produit, mais de quel point de vue tu te places ? Est-ce que c’est en effet juste une review et un point de vue totalement neutre ? Est-ce que… Il s’est passé quelque chose avec cette marque, avec cet annonceur, est-ce que tu peux nous en dire plus ? Et donc, c’est quelque part aussi très souvent désamorcé dans ce lien très direct entre le créateur de contenu et la communauté. Et ça, c’est extrêmement sain parce que chacun prend sa responsabilité quelque part sans que nous devions intervenir. Et c’est ça l’objectif de la régulation en fait.