QUESTION – Digital Wallonia a réalisé son baromètre sur la maturité numérique en 2021 (*). Il y a encore un tiers des Wallonnes et des Wallons qui se disent éloignés du numérique. C’est énorme, non ?
André Delacharlerie – Vous avez bien vu effectivement que tous les Wallons ne sont pas devenus numériques ! Le Covid a assurément augmenté le niveau d’usage chez beaucoup d’utilisateurs différents mais il reste effectivement une petite portion de Wallons qui reste quasi en marge totale vis-à-vis du numérique.
Au-delà de l’utilisation du numérique, on a demandé aux Wallons ce qu’ils ressentaient : « Est-ce que le numérique m’apporte quelque chose? Est ce que le numérique n’est pas en train de me siphonner ma vie privée? Est ce que celui-ci n’est pas en train d’accaparer tout un temps considérable dans ma vie parce que je deviens esclave des réseaux sociaux ou même de sites qui m’obligent à utiliser des formulaires parfois longs, complexes et fastidieux, m’obligent à passer beaucoup de temps pour répondre à une interrogation ? »
Et là on a vu que ce sentiment vis-à-vis du numérique est loin effectivement d’être largement positif. On a alors classé les Wallons en cinq catégories de ceux qui sont les plus mordus aux plus éloignés : les passionnés, les compagnons, les ambivalents, les insoumis et enfin les éloignés.
Pour ces derniers, on a un vrai travail pour améliorer la compréhension, l’apprentissage. Et donc une des actions, c’est justement de faire comprendre le numérique. Si on peut mieux le faire comprendre, le citoyen pourra mieux savoir comment gérer. Et ça n’exclut pas qu’il y ait des aspects négatifs ou en tout cas inquiétants. Mais si on les maîtrise, si on maitrise bien le numérique, on peut s’en accommoder beaucoup plus facilement.
Q – Un autre chiffre étonnant, c’est qu’un étudiant sur deux est en demande de formation au numérique. Comment combler cette demande ?
AD – La crise Covid a amené plus de monde à se confronter au numérique. Et cela a eu comme conséquence qu’ils ont aussi eu l’occasion de constater combien ils n’étaient pas à l’aise partout, avec tous les usages.
Et donc cela a renforcé cette demande : en deux ans, on est passé d’une proportion de 25 à 33% de Wallons en demande de formation. D’un côté, c’est rassurant, mais d’un autre côté, ça prouve bien qu’il reste énormément d’apprentissages à réaliser.
Il faut savoir qu’il existe un référentiel européen, qui fait le tour de tout ce qu’il y a comme compétences numériques. Les compétences les mieux maîtrisées, ce sont celles de la communication. C’est la communication instantanée, celle des réseaux, Messenger et autres, mais le mail également qui reste l’application la plus utilisée. De façon générale, la communication est souvent assez bien comprise.
Deuxièmement, il y a « comment j’accède à l’information ou comment je recherche de l’information, comment je comprends l’information » et c’est déjà un second domaine qui est un petit peu plus délicat à maîtriser, certains ont un peu du mal à savoir comment recouper l’information pour être certain que telle information n’est pas une fake news, donc c’est une vraie compétence numérique aussi bien sûr !
Troisièmement, on a un domaine de compétence qui est le traitement de l’information et la construction de l’information. Est-ce que je suis capable de produire de l’information, non seulement de rédiger des textes, de préparer une présentation, de manipuler par exemple des images, mais d’être capable de faire toute une série de transformations, d’utiliser les différents outils professionnels. Là, à nouveau, on voit la proportion de personnes qui le maîtrisent effectivement, qui se dégrade.
Et enfin un quatrième domaine très important, particulièrement aujourd’hui, c’est comment j’assure ma sécurité. La cybersécurité est une vraie compétence et là aussi, trop peu de monde sait effectivement ce qui doit se faire, ce qu’il vaut mieux ne pas faire.
Et enfin la cinquième catégorie de compétences, c’est la capacité à résoudre des problèmes. Comment retrouver de l’information que j’ai perdue, comment me connecter dans un domaine que je ne connais pas, comment résoudre les difficultés techniques rencontrées sur le web.
Q – Quelles recommandations formulez-vous au vu des résultats des sondages ?
AD – Au niveau de l’école, on a un réel retard dans l’appropriation du numérique. Chacun d’entre nous a eu en secondaire l’occasion d’être confronté un peu à la physique, à la biologie, à de la chimie. Et on a tous entendu parler de molécules mais on nous parle extrêmement peu des concepts du numérique. Et ça, pour moi, c’est un grave problème parce que c’est important pour la culture générale et aussi pour l’accès aux métiers du numérique.
On se plaint de ne pas avoir assez de professionnels du numérique, mais comme on ne confronte pas les jeunes à la science du numérique, hé bien fatalement, ils n’ont pas de raison d’être attirés par ces métiers qu’ils ne connaissent pas.
A l’école, le numérique est aussi un outil pour apprendre, qui va permettre de diversifier les expériences d’apprentissage et les façons d’apprendre. Mais on constate que ce n’est pas beaucoup le cas. Cela va un peu évoluer dans le futur avec la suite du fameux pacte d’excellence ; malheureusement, le numérique a été classé dans un groupe dans lequel il y a les activités manuelles, techniques, technologiques et numériques.
Alors rien que d’énoncer comme ça, on ne donne pas l’illustration de la place prépondérante qu’on devrait lui donner dans notre enseignement.
En conclusion, c’est au travers de l’éducation qu’on va être capable d’assurer sa propre sécurité et d’adopter un usage raisonné, raisonnable, réfléchi. Les outils numériques sont extraordinaires mais doivent être vus comme des outils. Le numérique ne réfléchit pas à votre place. Il vous permet, si vous cherchez bien, d’apporter de multiples éclairages à votre réflexion, mais c’est vous qui restez maître de la décision et de l’analyse, vraiment de ce que vous trouvez dans au travers du numérique.
*Lire aussi : Baromètre 2021 de la maturité numérique des citoyens wallons