« On croit souvent que les jeunes sont par définition digital natives, mais ce n’est pas vrai »

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par

Maud De Craeye, Renaud Ziegler, Centre Culturel d’Evere L’Entrela’

La Semaine Numérique – Vous avez proposé, dans le cadre de La Semaine Numérique, une activité qui tombe pile dans le thème 2022 : un festival qui s’appelle « e-réel ». Est-ce que le réel d’Internet est encore le réel? Il y a un danger pour vous que les différents publics confondent la réalité et ce qu’il voient ou entendent sur Internet?

Renaud Ziegler – Je pense que ce n’est pas un danger mais que c’est déjà le cas dans notre pratique quotidienne d’animateur socioculturel et informatique. On rencontre effectivement des gens qui manquent d’outils, qui manquent d’esprit critique, qui manque de recul par rapport à ce flot d’informations qui paraissent vraisemblables ou véridiques parce qu’ils passent par Internet. C’est donc moins un danger qu’une réalité aujourd’hui.

La SN – Vous proposez un festival autour de films projetés à plusieurs publics et des rencontres. Pouvez-vous détailler quelques points forts du festival ?

Maud De Craeye – On va proposer une sélection de films réalisée ensemble avec l’Espace public numérique de l’Entrela’ et le Pôle éducation permanente. On a sélectionné trois films qui correspondent à des catégories d’âges différents (enfants, ados ou adultes), dans l’objectif d’avoir des débats à la fois liés à ces catégories d’âges, mais aussi variés au niveau des thématiques par rapport à la réalité virtuelle et aux problématiques que cela peut soulever. Et donc, ces projections seront suivies à chaque fois d’un débat plus ou moins structuré en fonction de l’âge des participants et accompagnés de certains experts qui pourront débattre avec les personnes rapidement.

En ce qui concerne le film pour enfants, c’est au sujet d’un petit garçon qui se demande ce qui n’est pas réel par rapport à l’amitié. Donc ça, c’est un gros thème du film. Puis le film adulte est lié à l’abus de confiance lié aux forums sur Internet et raconte l’histoire d’une jeune fille qui se fait abuser par un prédateur sexuel. Et enfin le film ado est plutôt consacré à cette entreprise du clic qui permet de propager des informations et de les détourner pour faire croire ce qu’on veut bien faire croire.

La SN – Des thèmes qui nous parlent en particulier cette année. Une des questions que vous aborderez dans ce festival, ou en tout cas auquel ce festival souhaite répondre, c’est comment vivre le numérique de manière responsable et citoyenne. Cela rentre évidemment dans votre rôle de centre culturel.

RZ – Oui, tout à fait. Il y a différents pôles qui sont vraiment articulés les uns avec les autres : l’éducation permanente et le pôle l’espace public numérique où l’on fait vraiment de l’accompagnement informatique et du soutien informatique. Et si on est vraiment à l’intersection de ces deux pôles, on rencontre des jeunes.

On croit souvent que les jeunes sont des « digital natives » rompus à l’exercice de l’informatique et que tout va bien et que ce sont plutôt les personnes un peu plus âgées ou un peu précarisées qui ont du mal avec l’environnement numérique. Mais ça n’est pas vrai. On rencontre des publics différents, de classes sociales différentes, d’âges différents, des vécu différents. Mais ils ont tous le même problème et la même demande d’avoir un peu plus de maturité, un peu plus de recul par rapport au flot d’informations qui leur parviennent.

La SN – C’est en effet ce que nos experts cette année constatent : les digital natives sont agiles. D’ailleurs, on se tourne vers eux quand il s’agit de rebrancher un Wi-Fi, de configurer un smartphone, ce genre de chose. Mais en fait, ils n’ont pas plus de recul et de maîtrise et de compréhension des algorithmes et de la raison pour laquelle à un moment ils sont confrontés à des contenus qui choquent. Vous relevez aussi ce genre de choses chez vous ?

RZ – Vraiment. On a deux types de rapport différents. Les personnes un peu plus âgées sont méfiantes et donc elles arrivent chez nous en disant « Expliquez-moi, donnez-moi des outils parce que je n’ose pas rentrer dans Internet, ça me fait peur ». Alors que les plus jeunes arrivent chez nous en disant « Le mal est fait, je me suis fait piquer mon mot de passe, aidez-moi à m’en sortir ». Mais dans les deux cas, effectivement, toute l’année, nous accompagnons des gens face à cette problématique.

La SN – Il y a peut-être aussi un phénomène que nous, adultes, relevons peut-être moins parce que les ados et les plus jeunes ont du mal à en parler à des adultes, c’est tout le cyberharcèlement, et le stalking comme on dit. Est-ce quelque chose que vous constatez aussi ?

RZ – Oui, en tout cas, nos experts nous le rapportent. Alors il y a peut-être un peu d’imprudence, mais je pense que le phénomène de harcèlement sévit également dans les cours de récré. Si je me souviens bien des chiffres : en sixième primaire, un enfant sur trois a été victime de harcèlement à un moment donné et donc je pense qu’Internet n’est qu’un prisme de ce qui se passe par ailleurs.

Le gros problème avec Internet, c’est que pour la plupart des adultes, il est hermétique. Je crois qu’aujourd’hui un enseignant sur deux n’a pas de compte Facebook et ce sont ces enseignants qui doivent accompagner les jeunes, lesquels vont même d’ailleurs dire que Facebook c’est pour les vieux, alors ils migrent vers TikTok, encore plus hermétique aux adultes ! Je crois que le véritable problème du harcèlement sur Internet, c’est que les adultes qui doivent accompagner et encadrer les enfants se sentent rejetés, ils restent en-dehors de ce qui se passe.

Eh bien, Maud et Renaud, merci! On rappelle : le festival e-réel, Internet et réalité. Comment vivre le numérique de manière responsable et citoyenne? Du 17 au 23 octobre, au Centre culturel L’Entrela’.

MDC – On va aussi ajouter que dans le cadre du festival, pour répandre la créativité, le film adulte sera accompagné en même temps d’un atelier création numérique avec une de nos super animatrices. Donc, les parents pourront venir avec leurs enfants, les confier à notre animatrice et profiter avec nous du film et du débat. Voilà, c’est la petite touche créative du festival.

>> Infos sur le festival « e-réel, Internet et réalité » : du 17 au 23 octobre. Informations ici >> Festival e-réel