Noémie Fachan Dessinatrice, écrivaine, créatrice de « Maedusa Gorgon »
Question – Sur Instagram, face à plus de 100.000 followers, avec votre personne de Maedusa Gorgon, vous prônez la non-discrimination sexiste, plus globalement, vous luttez contre toutes les discriminations. Vous faites dire à Maedusa qu’en matière de discrimination, plutôt que de parler de femmes, vous préférez le terme « personne sexisée », que voulez-vous dire ?
Noémie Fachan – Pour être précise : dans certains contextes, je préfère parler de personnes sexisées, dans d’autres contextes, le mot femme est tout à fait approprié. Ce terme désigne toutes les personnes qui subissent l’oppression sexiste dans une société telle que la nôtre, qui reste assez patriarcale et encore fortement marquée par le sexisme. Donc, les personnes sexisées, ce sont bien sûr les femmes, mais aussi les minorités de genre. Certaines personnes qui sont transgenres, par exemple ou non binaires, sont tout aussi concernées par le sexisme parce qu’elles vont être perçues comme femmes, par exemple par la société en général. Et puis aussi parce que ça va s’imbriquer avec d’autres oppressions LGBT.
C’est un terme inclusif qui permet de s’adresser à toutes les personnes concernées par le sexisme. Évidemment, dans certains contextes, il est tout à fait approprié de mettre en avant le mot femme notamment justement dans des contextes où le mot femme risque d’être invisibilisé face à une certaine suprématie masculine. Donc le travail des femmes, par exemple, quand on parle de travail domestique dans le cadre du couple hétérosexuel, il est bon de rappeler que cette charge domestique est là. Elle incombe aux femmes dans cette situation là. Et puis dans d’autres contextes, oui, on préfère parler de personnes sexisées pour ne pas invisibiliser les minorités.
Ce qui me surprend positivement, c’est qu’en majorité vos followers entrent dans un dialogue et comprennent relativement bien ce genre de notion. Et ce qui m’a impressionné, c’est que vous répondiez à des centaines de commentaires. C’est important pour vous de faire cet effort là?
Oui, c’est extrêmement important. Alors en effet, c’est une grosse partie de mon travail autour de la page Instagram Maedusa Gorgon. La modération et la réponse aux commentaires, c’est plusieurs heures par jour, les jours où je publie, donc c’est un gros travail. Oui, il est important de lire tous les commentaires parce que dans la mesure du possible, j’essaye de faire en sorte que la page Instagram soit un espace safe. Alors on n’arrive jamais à être totalement safe pour tout le monde, bien entendu. Et l’outil Instagram ne nous permet pas non plus d’avoir le regard sur tout. Mais l’idée, c’est de ne pas laisser traîner en dessous de mes posts des commentaires qui pourraient être racistes, qui pourraient être transphobes, et cetera. Donc ça c’est déjà un premier travail de supprimer et de bloquer toutes les personnes qui se permettent d’être insultantes, d’être oppressives directement.
Par contre, pour toutes les personnes qui ne sont pas complètement de mauvaise foi, mais qui ne comprennent pas ou butent sur certaines notions, je considère que c’est intéressant de répondre. C’est intéressant parce que ça nous donne à tous et à toutes, des arguments supplémentaires quand on se retrouve face aux mêmes réflexions, aux mêmes remarques. Et puis ça me permet d’organiser ma pensée : c’est très utile les commentaires quand ils sont un minimum constructifs, un minimum honnêtes parce que ça me permet de me poser des questions, de me dire « Est-ce que finalement mes certitudes sont inébranlables et monolithiques? Est-ce que dans certains contextes, là oui, cette personne a peut-être raison ? Je conjugue en fait mes valeurs et l’épreuve du réel. Donc c’est extrêmement utile. Après là on parle, on est d’accord de commentaires qui sont encore une fois relativement constructifs.
Mais il peut y avoir des commentaires, ce qu’on appelle communément sur les réseaux, les « ouin-ouin », c’est à dire vraiment de la plainte pas du tout ouverte d’esprit. Et ça pour le coup c’est aussi plus qu’utile ! J’en fais mon beurre parce que le personnage de madame Gorgon aujourd’hui adore répondre à ce genre d’avis. Donc très souvent, des remarques de mauvaise foi qui vont être adressées en commentaires se retrouvent un petit peu plus tard dans un post sur mon compte.
Alors on le sait, les femmes comme vous qui tenez des propos progressistes, féministes sur les réseaux sociaux, ne se coltinent pas que des « ouin – ouin » comme vous dites, mais subissent une vraie violence, un vrai cyberharcèlement.
Alors moi, pour l’instant, j’ai eu beaucoup de chance. La page Instagram Maedusa est née en février 2021, donc ça fait un petit peu plus de deux ans et pour l’instant, je n’ai pas encore, à ma connaissance, subi de véritables raids organisés de cyberharcèlement destiné à faire sauter mon compte par exemple. Donc évidemment, je touche du bois.
Oui je reçois des messages malveillants masculinistes, mais par petites touches individuelles et encore une fois, si ce sont des commentaires qui sont directement insultants et ce sont des messages directement oppressifs, je bloque tout simplement. Moi je suis une créatrice qui tient une page Instagram en mon nom. Je ne suis pas un média, je n’ai pas à représenter la totalité des points de vue. Ce n’est pas mon travail non plus. Donc je me permets de bloquer toute personne qui serait offensante.
Ce qui m’a beaucoup protégée jusqu’ici, c’est le fait que je parle derrière mon personnage dessiné de Maedusa. Je me montre très peu sur le réseau et il faut bien admettre que c’est souvent l’image réelle de la personne qui excite les masculinistes et les cyber harceleurs, les haters. Pour comprendre ce que dit Maedusa, il faut déjà lire. Il faut déjà lire la bande dessinée et je pense que c’est un premier filtre énorme contre les cyber harceleurs qui ne voient pas passer une femme réelle mettant en cause la suprématie masculine et qu’il faudrait remettre à sa place.
Mais vous venez de prendre un sacré risque ; j’ai noté que depuis quelques temps, vous faites de petites vidéos en votre nom, en face caméra pour tenir les propos que tient un petit peu Maedusa, en quelque sorte, mais sous une autre forme. Pourquoi cette prise de risque alors?
C’est une prise de risque qui est nécessaire dans le sens où en effet, j’entame pour la première fois depuis la création du compte, une phase de promotion. J’ai une première bande dessinée, « Maternités, miracles et malédictions », paru aux éditions Hatier, qui vient d’arriver en librairie. Une autre, « L’œil de la Gorgone », aux éditions « Leduc Graphic », à grands pas. Et en effet, dans un cadre de promotion, il faut jouer le jeu pour accepter bien entendu les demandes des médias, les interviews comme aujourd’hui.
Et puis en effet, je me montre dans la photo de profil sur Instagram. C’est également une contrainte finalement imposée par le réseau. Il faut savoir qu’en cas de de problème pour accéder à son compte, Instagram a fait une identification, une vérification d’identité qui est basée sur la photo. Donc en fait, Instagram vous envoie un lien et vous vous prenez en photo comme ça, un peu en 3D. Et il y a un algorithme qui vérifie la conformité de cette prise de vue avec votre photo de profil. Donc en fait, je n’ai pas eu trop le choix que pour toutes ces raisons de sécurité.
S’il n’y avait pas eu tout ça, Je serais restée tranquillement derrière mon personnage de Maedusa pour plusieurs raisons. Déjà parce que c’est vrai, c’est quand même un certain rempart très relatif, mais un certain rempart contre l’excitation des cyber harceleurs et aussi parce que moi, ça me permettait aussi de laisser à chaque lectrice, à chaque lecteur, la possibilité de se projeter davantage sur mon personnage là.
Je suppose que vous recevez énormément de témoignages, vu le nombre de followers et l’engagement de votre communauté ; y en a-t-il qui témoignent du fait qu’ils.elles n’osent plus s’exprimer sur ces questions-là dans le cadre des réseaux sociaux ?
Oui, bien sûr. Alors c’est vrai que la plupart des personnes qui m’écrivent n’ont pas énormément d’abonnés. Donc elles sont relativement en sécurité sur le réseau parce que finalement, elles ne sont pas très visibles. Mais par ailleurs, oui, bien sûr, des créateurs et des créatrices engagées quittent les réseaux un peu mainstream, comme Facebook dans un premier temps, comme Twitter dans un deuxième temps, comme Instagram dans un troisième temps, pour ouvrir des pages sur Patreon.
Au risque alors d’une plus grande confidentialité, évidemment.
Le risque est de parler à des personnes qui sont déjà convaincues. C’est vrai que quand on a vocation à faire un peu de pédagogie, c’est très dommage. Voilà. Mais c’est souvent un choix fait par dépit et par défaut, parce que c’est extrêmement dur d’être cyber harcelé. C’est sûr, la violence est extrême et les menaces sont très, très grandes.
Votre livre « Maternités. Miracles et malédictions » dresse une série de portraits de personnes, pas seulement de femmes hétérosexuelles, de portraits de mères et de pères, avec un thème récurrent : c’est la difficulté de chacun à s’affranchir d’une série de modèles que la société doit absolument leur imposer. Pouvez-vous dire un peu plus sur cette difficulté de lutter contre les archétypes et les modèles?
Oui, en fait, ce qu’on retrouve très fort dans beaucoup de dynamique d’oppression, c’est l’idée de conformité. C’est un mot qu’on va déjà beaucoup retrouver, notamment chez les féministes intersectionnelles, c’est à dire les féministes qui parlent du fait d’être au croisement du sexisme et du racisme, par exemple du sexisme et du handicap. Et par exemple, Racha Belmehdi dans « Rivalité, nom féminin », vient nous dire que la rivalité féminine, c’est la course pour la féminité conforme. Hanane Karimi aussi, dans « Les femmes musulmanes ne sont-elles pas des femmes? » nous parle de la difficulté, dans un pays comme la France pour les femmes musulmanes, à se conformer à une certaine féminité, à une certaine féminité conforme, qui sera donc le plus souvent des modèles de féminité non musulmane. Et donc voilà, on a vraiment cette idée de conformité qu’on retrouve aussi chez les féministes qui dénoncent la grossophobie. Cette idée de conformité qui pèse très lourd sur tout le monde, certes, mais en particulier les femmes dans notre société, aboutit à tout un arsenal d’oppressions et de difficulté à se conformer à des diktats qui sont à la fois inatteignables et contradictoires la plupart du temps.
Exemples : il faut avoir des enfants parce que quand on est une femme ayant subi l’injonction à la maternité, notre destin de femme n’est pas complet quand on n’a pas des enfants. Mais en même temps il faut faire des enfants sans vieillir tout en restant minces. S’imposer tout cela, c’est pas possible. Extrêmement peu de personnes peuvent prétendre à se conformer à tous ces diktats et il faut être extrêmement privilégié pour y arriver.
Une question par rapport aux jeunes : vous avez des followers adolescent.es ?
Oui, j’ai souvent des messages de très jeunes Gorgones et Gorgons, qui me suivent et qui ont parfois quinze – seize ans et c’est extrêmement émouvant parce que certains et certaines d’entre eux, sont déjà assez politisé.es et finalement sont assez conscient.es du racisme, sont vraiment éveillé.es par rapport à toutes ces questions-là. Et c’est assez bouleversant de les voir bien se documenter, chercher à des solutions, chercher des façons de répondre à toutes ces oppressions qu’ils subissent ou qu’ils voient leurs camarades les subir.
C’est un des effets bénéfiques des réseaux sociaux, notamment Instagram, c’est justement de pouvoir toucher plus facilement des personnes qui sont concernées ou qui ont envie d’en discuter.
Oui, tout à fait. On peut reprocher énormément de choses et je pense qu’il faut absolument qu’on fasse évoluer notre usage des réseaux et la façon dont sont conçus ces réseaux, évidemment. Mais il peut se passer des choses vraiment à super. Sur les réseaux sociaux, bien sûr !