« L’inclusion des femmes dans les TIC : on est nul en Belgique »

Le

par

Julie Foulon – Girleek

Les femmes ne représentent que 18 % des métiers de la technologie, de l’information et de la communication. Comment explique-t-on ce déséquilibre ?

C’est vrai que nous, les femmes, on est 52 % de la population européenne, et il n’y a 15 % de femmes spécialisées IT en Europe, 18% en Belgique. En fait, on s’aperçoit que c’est très difficile dans ce monde numérique d’allier vie privée et vie professionnelle. La carrière moyenne, donc la durée moyenne d’une carrière pour une femme dans la tech est de huit ans seulement. Et donc, même si elle a fait les bonnes études, si tu travailles, à partir du moment où tu commences à construire une vie familiale, là ça devient compliqué de concilier vie privée, vie professionnelle.

Après, il y a très peu de jeunes filles qui choisissent des études dans les STEM (Sciences, Technology, Engineering, Mathematics). Sur les 27 pays de l’Union européenne, la Belgique est avant-avant-dernier. Ce pourcentage a complètement stagné. Donc là, il y a un vrai problème pour attirer les jeunes filles dans ce secteur. Aux États-Unis par contre, ils ont une approche et une pédagogie un peu différenciées pour les jeunes filles pour montrer tout ce qu’on peut faire. Pour pouvoir justement leur montrer qu’on peut utiliser les nouvelles technologies dans l’humanitaire, dans des différentes secteurs pas forcément des secteurs très masculins.

C’est une question de culture ? Et il faut un changement par le public ou le privé ?

Je pense que je pense que c’est les deux à l’origine. Il y a un paradoxe par rapport à l’éducation. On voit que dans les pays du Maghreb, il y a beaucoup de jeunes filles qui font des études dites utiles, dont des mathématiques, de l’ingénierie informatique, des choses comme ça parce que le marché du travail est très tendu. Donc on va faire des études utiles pour pouvoir trouver du travail. Ici, on a trop le choix, on va voir émerger des masters en gestion culturelle ; Oui bon c’est très bien mais bon, des , on n’en a pas dans tous les coins de rue, tu vois. Alors oui, tu veux faire histoire de l’art, c’est intéressant pour briller en société, mais derrière pour devenir commissaire d’une expo ou directeur d’un musée, il n’y a pas beaucoup de place. Alors je pense que c’est intéressant de savoir combiner un peu les deux? Parce que après, on peut être un peu créatif et comme dans l’exposition Van Gogh. Là, c’est vraiment une immersion à l’art, puis en même temps les nouvelles technologies. Et je pense que c’est ça qui est intéressant. Et c’est important de combler rapidement le gouffre sur le marché du travail (entre hommes et femmes). C’est important d’anticiper le chamboulement du ChatGPT sur le marché du travail, parce que le but, c’est quoi? Ce n’est pas d’avoir par principe plus de femmes dans la tech, c’est que les métiers qui sont porteurs, plus rémunérateurs, ce sont des métiers dans ce secteur et si on amène pas plus de femmes, on va continuer à augmenter en fait les inégalités et creuser les inégalités entre les hommes et les femmes. Et ça, on n’en veut pas. Et c’est pour ça que c’est tellement important d’attirer des femmes dans ce secteur pour qu’elles aient des jobs, des métiers plus rémunérateurs et d’avoir cette indépendance financière.

une jeune fille dans une classe d'école regarde sur son smartphone

Vous avez fondé Girleek en 2011 et ces trois dernières années, vous avez formé avec votre équipe plus de 7000 personnes. Est-ce que vous voyez une évolution plutôt positive sur l’inclusion des femmes dans le marché de l’emploi des TIC ?

Rien. Non, nul, Nul, nul. On est nul en Belgique. Cela devrait être une priorité absolue de former les gens. Ça ne l’est toujours pas. Interface3 : ça fait 25 ans que ça existe. Girleek, la partie formation, on est là depuis 2020. Il devrait avoir dix initiatives de plus, beaucoup plus. Et force est de constater que on a un problème d’accessibilité des formations. Le premier problème, c’est qu’on considère que les femmes sont un bloc homogène alors qu’on est toutes différentes. Il y a des femmes qui sont plus âgées, qui ont plus de temps, qui pourraient être formées. On ne le fait pas parce qu’il y a un problème au niveau de l’emploi, c’est à dire que les entreprises ne vont pas embaucher des femmes de plus de 50 ans alors que leur confiance est au top. Elles sont dispos, elles ont des compétences et on ne les entend pas. Donc c’est un manque à gagner considérable. Après, il il y a des jeunes femmes qui sont encore aux études. Et puis il y a des jeunes femmes qui vont se lancer sur le marché du travail, qui vont avoir des enfants. Il y a des femmes qui au milieu de carrière en ont marre de faire ce qu’elles font et veulent changer de carrière. Le problème, c’est que là, les formations ne sont pas accessibles. Elles sont accessibles aux chercheurs d’emploi. Mais si on veut développer nos compétences au sein même d’une entreprise ou en se disant tiens, je vais évoluer dans ma carrière ou peut être me reconvertir, là, c’est très onéreux ou les conditions, même pour se former, sont compliquées. Ça peut être en cours du soir, les week-ends et il ne faut pas se leurrer, les charges familiales reposent essentiellement sur les femmes. C’est comme ça, je n’ai pas de jugement mais du coup c’est compliqué. Moi je vois, moi je suis maman solo, j’ai juste une fille de huit ans, je pourrais pas faire des cours du soir, c’est impossible. Je veux privilégier ma fille, c’est normal. Je ne va pas me jeter la pierre et donc c’est important après d’imaginer des pédagogies alternatives où on ne va pas demander aux femmes de venir chez nous si on va les atteindre là où elles sont. Et donc nous, avec Girleek, on propose des webinaires ou des cours en ligne, qu’on puisse regarder en replay. Il va y avoir des vidéos qui vont être disponibles. On a une nouvelle plateforme qui est qui va être bientôt disponible justement avec des cours en ligne. Donc il y en a qui seront gratuits. Il y en a d’autres qui seront payants. Il y a des formations longues aussi pour les femmes, mais c’est pas plus trois mois ici, en alternance, en immersion en entreprise. Du coup, ça aussi, ça, c’est intéressant parce qu’en l’espace de trois mois, on fait notre formation, notre certification et en même temps, on a le stage. Et là, c’est une première expérience professionnelle, donc c’est beaucoup plus facile. Hélas les formations à distance, ça n’a pas très bonne presse en fait en Belgique. Aux États-Unis, on peut faire une licence en sociologie à distance, ça a autant de valeur que si on était en présentiel à l’université.

Vous incarnez le visage d’un entrepreneuriat féminin, en particulier vous incarnez une volonté de faire bouger les lignes, d’inclure davantage les femmes et je n’ai pas l’impression, comme certaines de vos consoeurs, que vous subissiez des « shitstorm » en ligne.

Non parce que je ne fais pas la morale, j’essaie d’avoir une approche un peu raisonnée aussi, en fait des nouvelles technologies. Je pense que si on veut avoir plus de femmes, on ne peut pas faire sans les hommes. Et si on explique les raisons, les gens comprennent, ils sont pas idiots, quoi. Si on explique que si il n’y a pas assez de femmes, eh bien, on va créer une société à différents niveaux où les femmes, elles, auront accès à des postes qui seront moins intéressants, moins rémunérateurs, elles auront moins de pouvoir d’achat et seront moins dépendantes financièrement. Et puis il faut être aussi un peu humble parce que voilà, on est tout jeune finalement au niveau de la formation. Et puis je pense que tout n’est pas tout blanc ou tout noir. Enfin après, sur les réseaux sociaux, il faut avoir un peu d’humour aussi, faut pas tout prendre au pied de la lettre.

Mais vous vous entendez quand même, vous qui rencontrez beaucoup de femmes, des témoignages de femmes qui sans avoir rien provoqué ont l’impression d’être victimes de cyberharcèlement.

Oui. On voit par exemple des personnalités politiques, des femmes qui sont députées, qui se prennent aussi des shitstorm. Mais après il faut choisir les combats. Moi je suis sur le terrain. Je vois qu’il y a 47 % des Belges qui sont en situation de précarité numérique. Moi, J’ai des femmes qui viennent chez moi, c’est compliqué car si elles parlent français, elles savent le lire, mais elles savent pas l’écrire. Donc tout ce qui est document administratif est super compliqué. Le premier cours qu’on fait est un cours sur ChatGPT pour percer cette barrière. Et puis on a des députés qui vont nous dire oui, il faut aller voir Barbie parce que c’est le film féministe de l’année, ou il faut renommer les noms de les noms des stations de métro en nom féminin. Ça ne marche pas comme ça. On est à des années lumières de ces considérations. C’est aujourd’hui qu’il faut rendre les femmes autonomes. Moi, je peux avoir des femmes qui viennent chez moi, qui ont une chaîne YouTube avec 1000 abonnés mais sont pas capables d’aller sur leur home banking. Et donc du coup, nous, on a aussi cette mission avec la Fondation Orange  pour essayer de rendre autonome une partie des femmes qui viennent. Elles sont autonomes, elles ont compris, elles sont à l’aise, c’est bon. Après, elles peuvent prendre leur envol. Mais le tout, c’est d’arriver à franchir le pas de cet écran (elle montre son smartphone).

Dernière question : le Digital Act européen entré en vigueur le 25 août. Des grandes déclarations, la volonté de d’obliger les grandes plateformes numériques à mieux lutter contre la désinformation, le cyberharcèlement, la haine en ligne, et cetera. C’est le genre d’avancées législatives auxquelles vous croyez ou c’est un brol de plus ?

Non mais c’est intéressant. Ça part de toute manière d’une bonne volonté. Mais il faut savoir par exemple que Facebook par exemple, il y a des groupes privés auxquels on n’a pas accès. Donc il peut y avoir des messages de haine qui circulent au sein de groupes privés. Tant qu’il n’y a pas de gens qui vont nous le signaler, on ne sait pas. Selon moi, l’avancée vraiment flagrante, c’est sur X anciennement Twitter, qui offre la possibilité de mettre des notes. Donc les gens de la communauté peuvent en fait évaluer un tweet qui dit une grosse connerie. Il y a des gens qui peuvent réagir et rédiger une note et étayer avec des sources, etc. Et après il y a des gens, il y a des vérificateurs qui vont vérifier la note.

C’est un peu un modèle de crowdsourcing.

Oui un peu comme Wikipedia, exactement. Alors ça c’est intéressant. Je trouve que c’est une sacrée avancée, mais par contre, sur les réseaux fermés, c’est compliqué.