« On survit dans un boys club »

Le

par

Sigrid, gameuse et membre du collectif Witch Gamez

Question – Quatre femmes sur dix cachent leur genre lorsqu’elles jouent à des jeux vidéo. Pourquoi?

C’est surtout une réaction face à ce qu’on vit quand on pratique le jeu vidéo. En tant que femme, dès que le groupe dans lequel on joue remarque qu’on est une femme, on reçoit une pluie d’insultes, de stéréotypes aussi, ce qui est quelque chose qui est très récurrent dans le gaming, qui est de « renvoyer les femmes à la cuisine ». Et donc, en fait, les femmes prennent le réflexe de cacher leur identité de genre pour tout simplement pouvoir jouer en paix. Ça reste une expression culturelle, ça reste un loisir et donc on n’a pas toujours envie d’être insultées ou qu’on souligne le fait qu’on soit une femme.

Le jeu vidéo, c’est aussi une pratique stéréotypée, très masculine, même si au final, un joueur sur deux est une femme. Ça, il faut surtout pas l’oublier ! On survit quand même dans un boys club, dans un univers très masculin où la compétition est très, très présente. Et donc pour pouvoir jouer tranquille, ça fait partie des deux stratégies d’évitement. Une autre chose qui est aussi importante, c’est que dans le monde du gaming, comme malheureusement dans l’espace public, on est aussi très vite sexualisée en tant que femme. Et donc, dès qu’un groupe de joueurs entend une voix féminine, ça peut hurler. On peut entendre des cris d’animaux dans le casque, juste parce qu’ils ont entendu la voix d’une femme.

Vous parlez aussi d’insultes? 

Ah oui, mais ça peut même aller beaucoup plus loin. Il peut y avoir des personnes qui recherchent vos adresses, ou encore dès qu’on rentre dans une partie de jeux vidéo, on nous demande notre compte Snapchat. Et bon, on est juste là pour jouer, par pour d’autres contacts.

Est-ce que parfois aussi pour des compétitions, les hommes affirment ne pas prendre de femmes dans leur équipe tout simplement parce qu’elles joueraient moins bien? 

Oui, oui, oui. Il y a même eu des communiqués officiels d’équipes d’e-sport professionnelles qui refusaient d’avoir des filles dans l’équipe parce que ça peut donner des tensions sexuelles ! Donc, au-delà de la question de genre, il y a aussi une hétéronormativité qui est hyper importante dans ce secteur là où évidemment, il faut être un bonhomme hétéro et souvent blanc, ou éventuellement pour le jeu vidéo, pourquoi pas asiatique.

Vous allez participer avec votre collectif à une journée de rencontre interactive, le Betternet Lab le 10 octobre, dans le cadre de La Semaine Numérique intitulé « Les loisirs en ligne, un véritable loisir pour les garçons, un risque pour les femmes ». Vous avez l’impression qu’il y a une prise de risque quand vous branchez votre casque et que vous vous connectez au jeu? 

Ah oui, oui, tout à fait. Dans mon expérience personnelle, quand je vois des jeux multijoueurs, à chaque nouvelle partie, je me demande si je dis bonjour. Déjà rien que ça. Parce que est-ce que je suis prête là à entendre tout ça ou pas? Ou est-ce que je préfère juste me taire et jouer ma partie tranquille? Mais c’est aussi se priver d’une partie de base de l’expérience vidéoludique puisque la communication fait aussi partie des jeux vidéo. Donc oui, on se pose énormément ces questions-là et toutes les femmes joueuses qu’on a rencontrées là, la plupart me disent : « le multijoueurs, je n’y pense même pas » parce qu’on sait ce qui nous attend.

Alors que, rappelons-le, un gamer sur deux est une gameuse. Quels conseils donneriez-vous aux victimes de sexisme dans les jeux vidéo? 

Les premiers conseils, c’est de pouvoir en parler. Déjà, de se rendre compte qu’on n’est pas toute seule en fait, à vivre ça. Nous, c’est ce qui a vraiment amené le début de notre collectif à se rendre compte qu’en fait, ce qu’on vivait chacune individuellement se ressemblait énormément. Et donc, à partir de là, on voit que c’est systémique.

Mais bon, on n’apprend rien de nouveau. Le sexisme est systémique, donc il s’exprime tout pareil dans les jeux vidéo. Donc la première chose est de pouvoir en parler. Pouvoir sensibiliser les joueurs et les joueuses, que ce soit des hommes ou des femmes. Je pense aussi pouvoir informer les joueurs de petits commentaires, de petites choses de tout ce qui participe au sexisme est important parce qu’il n’y a pas que des insultes. Le fait de nous expliquer comment on joue comme si on était un enfant de trois ans parce qu’on est une femme. Ah bah ça aussi, c’est une expression de sexisme. C’est plutôt dans ce qu’on va appeler le sexisme bienveillant, mais il s’exprime aussi beaucoup sur les jeux vidéo. Donc ça, c’est la première chose de pouvoir en parler et ensuite de pouvoir se solidariser. Ça, c’est vraiment quelque chose d’hyper renforçant. Donc, avant de pouvoir aller plus loin sur des démarches légales ou judiciaires, c’est quand même important de pouvoir se renforcer, de s’assurer que on a bien notre place là où on est.

Ensuite, les phases, on va dire plus lointaines, c’est aussi de pouvoir signaler des comportements en jeu. Les studios de jeux ne vont peut-être pas le prendre en compte, mais à force d’avoir des signalements, peut-être qu’à un moment donné on jette un petit caillou dans l’eau à un moment donné, à force, ça va peut-être sortir.

Alors, vous l’avez dit, il n’y a pas uniquement la manière dont les femmes peuvent réagir et s’organiser entre elles. Il y a aussi l’éducation des hommes, tout simplement. Vous, vous constatez ou pas qu’il y a une évolution ?

Il y a une évolution ; on en parle beaucoup plus. Le fait que des collectifs comme le nôtre puissent exister et recevoir de chouettes échos. Sur les conventions, il y a énormément de gens qui viennent nous voir en disant que notre initiative est géniale. Donc oui, c’est cette évolution. A côté de ça, ça n’empêche pas qu’il y a des TikTokeuses qui montrent des clips vidéo d’elles en train de jouer aux jeux vidéo et se faire insulter. Une vidéo TikTok célèbre montre une streameuse qui joue à Call of Duty et qui annonce qu’elle stoppera la vidéo dès qu’elle reçoit la première remarque sexiste. Sa vidéo a duré 15 secondes… Donc il reste quand même des comportements très toxiques.