« En cybersécurité, on s’en fout de qui tu es. La seule chose qui compte, c’est la compétence »

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par

Nadia Aimé, experte en cybersécurité chez Microsoft et fondatrice de She Leads Digital

Question – She Leads Digital a pour volonté de combler le déficit de talents dans la tech, de talents féminins pour être précis. Quelle est l’ampleur de ce déficit exactement? 

Nadia Aimé – L’histoire de She Leads Digital est née par rapport à mon histoire. En deux mots, j’ai dû quitter l’école à quinze ans sans diplôme et le fait d’avoir découvert l’informatique m’a permis d’arriver là où je suis aujourd’hui en tant qu’experte en cybersécurité. Donc ça m’a un petit peu ouvert les yeux sur les opportunités qui existent dans un domaine où on s’en fout de qui tu es, de ton genre, du temps, de ton histoire. Mais tout ce qui compte, c’est vraiment : qu’est-ce qu’on sait faire derrière cet ordinateur? Et c’est ça que je voulais montrer à d’autres personnes : qu’il existe un autre monde où on peut refaire sa vie.

Vous avez un message que j’aime bien :  « Tout le monde est légitime ». Ça veut dire que comme vous, quel que soit votre parcours, quelle que soit votre origine, votre genre, vous êtes légitime si vous avez la compétence. Mais cette légitimité, il faut aussi oser la prendre. C’est pas toujours facile.

Oui, exactement, c’est pour ça qu’il faut aussi un support qui vienne de l’extérieur, parce que parfois nous nous mettons nous-mêmes des bâtons dans les roues. En fait, on a tendance à  ne pas avoir confiance en nous ou on ne se voit pas faire carrière dans ce domaine-là. Et pourtant la seule chose qui compte, c’est « Montrez-moi ce que vous êtes capable de faire ».

La plupart des gens qui viennent à mes formations me posent les mêmes questions : « Comment avez-vous fait cette transition d’un métier non technique ou d’un métier qui n’a rien à voir avec le domaine informatique ou la cybersécurité? Et comment vous avez pu faire ça en tant que maman? » Parce que non seulement je suis experte, mais je suis aussi maman. J’ai une vie de maman, j’ai une vie de famille, alors comment je peux équilibrer ma passion, mon ambition et ma vie de famille? Et j’ai l’honneur de dire que je parais comme une sorte de symbole où des gens me voient et se disent : « Elle l’a fait, alors moi aussi je peux le faire. »

Ce n’est pas facile, mais il y a moyen et c’est vraiment une mission pour moi de montrer qu’on peut avoir une carrière comblée dans la cybersécurité et une vie de famille.

Est-ce que vous avez dû vous battre contre des préjugés, étant femme et étant noire ?

Le fait que je n’avais pas de diplôme était toujours un problème. C’est pour ça que ça m’a un peu amenée à faire le travail de femme de ménage, ou comme cuisinière et des choses comme ça. Et ensuite, il a fallu quelqu’un qui me donne une chance et qui m’a montré une voie dans l’informatique pour que je puisse commencer à faire mon chemin. Et durant cette transition, évidemment, il y a des préjugés, comme dans tous les métiers. Le message que je passe aux gens, c’est qu’il y a 3000 postes vacants dans la cybersécurité. On arrive à un point où le monde considère le fait qu’il y a un tel manque de talents que c’est devenu une opportunité. Les employeurs changent leur façon de penser et estiment que si tu n’as pas de diplôme et que t’es autodidacte, c’est une expérience, c’est un acquis. Donc je trouve que les préjugés commencent à changer.

Vous avez un parcours particulièrement singulier et inspirant, vous pouvez en dire deux mots ?

J’ai dû quitter l’école à quinze ans, sans diplôme. J’ai passé un petit peu de ma vie à la rue, donc presque un an. Encore une fois, je dis souvent que c’est juste un manque de connaissances en fait car j’ignorais qu’il y avait des institutions comme les CPAS en Belgique. Quelqu’un m’a repéré et m’a montré la voie : c’est mon support externe. J’ai changé de trajectoire de vie. Je suis passé par des internats. Et là, j’ai essayé de postuler dans des écoles, mais malheureusement sans diplôme, c’était dur. Donc j’ai fait le CEFA où j’ai dû faire la cuisine. Parce que quand j’avais faim, tout simplement, je me disais que le meilleur endroit c’était d’être en cuisine ! Et mes enfants aujourd’hui me remercient pour cette option là aussi !

Mais j’avais envie d’une vie et j’avais envie de faire quelque chose mais je ne savais pas quoi. Donc j’ai fait femme de ménage jusqu’au moment où j’ai atterri à l’ULB. Et là, j’ai été engagée comme assistante administrative et c’est là où ma patronne, un jour, m’a dit : « Nadia, je veux que vous appreniez à coder ». Mais dans ma tête, je ne méritais pas de faire un métier pareil où je n’étais même pas compétente. Donc elle m’a forcé la main. Et là, j’ai découvert en fait que j’avais un passion pour quelque chose que je ne connaissais même pas. Et j’ai découvert le coding, cela avait une logique que je comprenais. Je ne connaissais pas tout, mais la logique derrière, c’est quelque chose que j’ai comprenais et c’est grâce à ça que j’ai pu me permettre un petit peu de plonger dans ce monde informatique. J’ai commencé à créer des sites et des applications, à proposer mes services dans des salons, des startup. J’ai passé mes journées dans des événements en disant « Je sais coder ! Tu as besoin d’un site pour ton projet ? »

C’est comme ça que j’ai pu créer une sorte d’influence, connaitre des gens, grandir mon réseau en Afrique, en Europe ou en Amérique pour faire des workshop ou des conférences. Et puis avec le confinement, tout s’arrête et je me suis dit : j’ai envie de changer de métier, j’ai envie de faire autre chose, j’ai envie d’apprendre autre chose et je me suis dit « pourquoi pas la cybersécurité? » Donc j’ai passé ma certification. On est en 2021 et Microsoft est venu me chercher au mois de mars 2021.

Comment est-ce qu’on explique qu’encore aujourd’hui qu’il n’y a qu’une femme sur cinq dans le domaine de l’intelligence artificielle ?

Le manque de temps des femmes, je pense. Moi, je survis parce que j’ai de la passion, presque comme une obsession, en fait, derrière ces choix de métier. Donc c’est vraiment une question à se poser si ce n’est pas la passion qui te pousse à choisir un métier. Moi je demande souvent aux jeunes femmes qui affirment vouloir faire la même chose que moi : « Pourquoi ce choix ? Qu’est-ce qui vous motive ? » Car si c’est l’argent, la motivation doit être contrebalancée. Il faut mettre une sorte d’équilibre dans un sens où, pour pouvoir gagner cet argent, il va devoir donner quasiment toute votre énergie, tout votre temps, à faire ce qu’il faut pour pouvoir y arriver.

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