Damien Van Achter, consultant en innovation média
Vous avez réagi rapidement lorsque nous avons évoqué le thème de cette année, Générations followers : pour des usages numériques éclairés. Vous avez mentionné que le concept de « following » est dépassé. Pouvez-vous nous expliquer cela ?
Damien Van Achter : Ce n’est pas tout à fait mort, mais on assiste effectivement à une évolution. Il y a quelques années, personne ne pensait que cela arriverait, mais nous y sommes. Cette réflexion est née lors d’un festival aux États-Unis, où un panel abordait ce sujet. Avant, il fallait s’abonner, activer les notifications pour recevoir systématiquement les contenus d’un créateur. Mais aujourd’hui, avec les algorithmes, même si vous vous abonnez, rien ne garantit que vous recevrez tous les contenus. Les plateformes ont compris que nous étions un peu paresseux dans notre consommation de contenu.
On sort donc de ce modèle, notamment grâce à TikTok, qui a bouleversé les codes en nous montrant d’abord du contenu sélectionné par ses algorithmes, et non celui de nos amis. D’autres plateformes, comme Instagram avec les Reels, ont suivi. Mais, sur quelle base les algorithmes nous montrent-ils du contenu ?
Les algorithmes ont beaucoup évolué. Facebook a été l’un des premiers à modifier son fil d’actualité, introduisant le concept de newsfeed dès 2013. Depuis, les plateformes perfectionnent leurs modèles pour capter notre attention et nous garder sur leurs applications. Leur objectif est de nous montrer suffisamment de nouveautés pour nous maintenir captivés, sans nous pousser à quitter la plateforme. Ces algorithmes attribuent une « note » à chaque contenu en fonction de son potentiel à générer de l’engagement, que ce soit des clics, des commentaires, ou des partages. Malheureusement, cela polarise souvent les débats, car les contenus les plus extrêmes retiennent le plus d’attention.
Pour les médias traditionnels qui comptent sur leurs abonnés, comment peuvent-ils encore toucher leur public face à cette course à l’attention et à la dopamine ?
C’est un véritable défi. Nous revenons à une situation similaire à celle de la télévision classique, où l’on diffusait des contenus sans vraiment savoir qui les regardait. Aujourd’hui, les plateformes savent précisément qui consomme quoi, combien de temps une vidéo est visionnée, et à quel moment les utilisateurs décrochent. Cela peut être décourageant pour les créateurs de contenu, car l’engagement est parfois mesuré après seulement trois secondes de visionnage. On se rend compte que produire uniquement pour suivre les règles des plateformes peut nuire à la qualité des contenus. Il est peut-être préférable de produire moins, mais mieux.
Vous enseignez également à Bruxelles et à Paris. Vous êtes en contact avec la génération des digital natives : pensez-vous qu’ils sont mieux préparés que les précédentes générations à naviguer dans cet environnement numérique ?
C’est un peu partagé. Il ne faut pas mettre tous les jeunes dans le même panier, leurs usages varient. Certains comprennent parfaitement les mécaniques des réseaux sociaux et savent qu’il faut capter l’attention en trois secondes avec des vidéos dynamiques, des montages rapides, etc. D’autres préfèrent un format plus long, plus posé, comme les podcasts ou les vidéos d’entretien, qui rencontrent aussi un certain succès. Sur YouTube, par exemple, les formats longs fonctionnent très bien. L’important est d’avoir un vrai rythme et une bonne narration, que ce soit pour du court ou du long.
En ce qui concerne le grand public, avez-vous l’impression que le message sur les dangers des bulles de filtre et de l’influence des leaders digitaux commence à passer ?
Oui, mais cela reste segmenté. La majorité des utilisateurs se contentent de ce que les plateformes leur proposent, comme cela a toujours été le cas avec la télévision et la radio. Cependant, on observe un mouvement de contestation qui émerge, notamment avec des initiatives pour utiliser des téléphones basiques ou limiter le temps passé sur les réseaux sociaux. Ces réflexions sont intéressantes car elles poussent à repenser notre usage des technologies. Mais il est important que cela reste constructif.
Pour terminer, j’aimerais aborder l’intelligence artificielle. Voyez-vous un risque de standardisation des contenus, avec des IA nourries de données humaines, mais aussi de plus en plus générées par elles-mêmes ?
Nous ne sommes qu’au début de l’intelligence artificielle. C’est un peu le far west pour l’instant. Les IA sont effectivement nourries de contenus humains, mais elles génèrent aussi leurs propres données, ce qui peut parfois mener à des résultats biaisés. Cependant, lorsqu’elles sont bien entraînées, elles peuvent libérer de nouvelles formes de créativité. Cela nécessite un apprentissage de ces outils, car générer un contenu pertinent ne se fait pas en tapant un simple prompt. Il est important de rester critique face à ces technologies tout en étant curieux et ouverts. La technologie doit servir la créativité humaine, et non l’inverse.